Nous connaissions le burn-out, l’un des syndromes de souffrance au travail attesté, qui se manifeste par un épuisement physico-psychique, dont la médiatisation de cas particuliers a levé le voile sur une pathologie contemporaine. Aujourd’hui, il est possible de mourir d’ennui, au sens littéral, à cause du travail ou, plus précisément, de l’absence de travail. C’est le phénomène qu’étudie le docteur François Baumann dans son livre « Le bore-out, quand l’ennui au travail rend malade ».
Qu’est-ce que l’ennui ?
Avant tout propos circonstancié et étayé de témoignages, il convient de définir l’ennui, pour comprendre comment s’installe le bore-out. Le docteur Baumann concède lui-même que cette approche sémantique n’est pas aisée : « C’est à la fois une démotivation et un désintérêt général, ce peut être un sentiment, mais aussi une émotion ». Il convient de revenir aux origine latines pour évaluer la valeur de l’ennui : inodium « qui signifie être haï ». Si l’on se reporte au dictionnaire (Robert), l’ennui provoque « le dégoût et l’indignation ».
Certes, en filigrane, l’ennui s’apparente à une notion romantique, et l’auteur n’omet pas de citer Mallarmé, Baudelaire ou Vigny. Sauf que l’ennui en question, au XIXè siècle et en temps de crise économique, ne porte rien de romanesque. Le docteur Baumann précise d’ailleurs que « Cette entropie tragique contient à la fois la brièveté du temps sur terre et la mort inéluctable comme fin de parcours ». Il termine ce chapitre qui contextualise l’ennui et par extension le bore-out, en indiquant qu’à aucun moment il n’est question de paresse.
Un sujet tabou
C’est là où le bât blesse. « Avec plus de 10% de la population active au chômage, l’ennui se transforme en un sujet tabou (…). La personne fait en quelque sorte partie des meubles. Elle est réifiée, transformée en objet dans l’esprit de ceux qui l’entourent ». Quand d’aucuns s’activent pour faire évoluer le statut de l’animal, aujourd’hui reconnu comme un « être doté de sensibilité » dans le code civil, parallèlement les salariés s’apparentent à des biens-meubles en entreprise. Les personnes qui connaissent un épisode de bore-out sont dévalorisées, se sentent oppressées et jugées. « Le bore-out, ou ennui chronique au travail, engendre la honte et le dégoût de soi ». Des termes forts, qui touchent à la dignité de la personne, à son identité singulière et originale, à son unicité, à l’estime de soi. Des termes qui nient la personne.
C’est en cela que le bore-out se différencie du burn-out, par soustraction, car, comme le souligne le docteur Baumann « Dans nos sociétés occidentales, le travail revêt une importance considérable dans l’équilibre intime de chacun ». Le syndrome du bore-out est difficile à exprimer, à circonscrire, à décrire tant ses symptômes sont diffus et surtout, le regard d’autrui heurte : « S’ennuyer au travail peut s’assimiler à un luxe ». Pour la personne en situation de bore-out, il s’agit de se confronter au vide, seul, et le corps manifeste ce que les mots taisent : fatigue, stress négatif, évitement, inquiétude, désintérêt général, silence et vide, apathie, perte de sommeil, rumination, crises de larmes, culpabilité, dépression, convulsions, léthargie, risques de maladies cardio-vasculaires, et parfois la mort.
Quelles en sont les causes ?
Les causes sont multiples, et personne n’est à l’abri. Selon les auteurs de l’ouvrage Diagnose Boreout, «15% des employés de bureau sont victimes de ce syndrome ». Potentiellement, chaque salarié, chaque employé, chaque fonctionnaire est impacté. Au départ : un manque avéré de travail, l’absence de défi, de responsabilités et de sens, la reconnaissance qui s’étiole et le bore-out qui s’installe. Plusieurs facteurs expliquent cette situation alarmante et dégradante, qui ostracise : une volonté de nuire en sous-chargeant un collaborateur, l’isoler pour favoriser les conditions de sa démission. Cela s’appelle du harcèlement moral. Fréquent dans les entreprises qui se réorganisent pour faire face aux enjeux économiques et aux trajectoires financières déséquilibrées.
Ce peut être aussi une question de rythme : la personne en situation de mal-être, d’ennui, ne se trouve pas à la bonne place dans l’organisation, celle qui correspond à son cursus et ses diplômes, ou celle qui lui permettra de s’épanouir, de créer, d’innover et de révéler son potentiel au service de la structure qui l’emploie. Souvent ce dernier cas se justifie par une énergie, un enthousiasme, une audace et un volontarisme qui effraient, et couper les ailes du collaborateur déterminé est une solution pour l’anéantir, lui et ses idées qui peuvent pourtant constituer un atout pour l’entreprise. Quelles que soient les causes, le docteur Baumann préconise de chercher des indicateurs, et il en identifie cinq : apprécier l’intensité du travail, établir les liens entre intensité et temps de présence, évaluer l’autonomie, prendre en compte les rapports sociaux, vérifier la dimension morale et éthique de l’entreprise.
Le rôle du manager
Le véritable enjeu est, une fois de plus, managérial. Un bon manager, soucieux de ses collaborateurs, qui conjugue humanité et productivité, moins préoccupé par son égo et son évolution personnelle que par l’équilibre et l’harmonie qu’il va installer, au bénéfice de tous, pose une question essentielle : « Votre niveau de compétence est trop élevé pour la charge de travail demandée ? ». A défaut de lancer le sujet, face à l’un de ses collaborateurs en situation fragile de bore-out, il laissera sa porte ouverte et la place à un échange constructif, visant à comprendre, à jauger, à trouver une solution et une issue au problème. Selon le docteur Baumann, le management coercitif est mort ! « Il faut réinventer une technique de management qui se préoccupe des individus et de leur bonne santé intellectuelle que de l’organisation pratique de l’entreprise ».
Il n’hésite pas à se référer à la génération Y, ou à proposer des exemples d’autres pays, notamment du nord, paradoxalement moins frileux. La Finlande, par exemple, propose de faire du travail un choix de vie, en instaurant un salaire minimum assuré à tous. 79% des Finlandais y sont favorables !
En attendant, le docteur Baumann compile quelques recettes plus souples et immédiates à mettre en œuvre, comme solliciter un bilan de compétences, rédiger son CV, prendre le temps de lire un dossier, répondre à ses e-mails, se former, se créer de nouvelles opportunités, en profiter pour réorienter sa vie…
Qu’importe la recette pour tromper l’ennui, il n’y a aujourd’hui aucune solution miracle pour éviter le bore-out, sinon une communication honnête et sans langue de bois entre le collaborateur concerné et sa hiérarchie, de l’empathie et de la bienveillance. Le bore-out touche au respect d’une personne. L’entreprise et le collaborateur décrédibilisé ont tout autant intérêt à retrouver une confiance et des motifs de se projeter, ensemble.
Un ouvrage court, didactique et concret, qui replace le travail dans nos sociétés occidentales, et rappelle son rôle pour maintenir une image sociale audible et respectable.
« Le bore-out, quand l’ennui au travail rend malade » aux éditions Josette Lyon, par le docteur François Baumann, 106 pages, 11,90 euros.
> Pour acheter le livre, cliquez ici <
A lire aussi, un article sur le livre du docteur Baumann dédié au burn-out :
« L’après burn-out : comment éviter les piegès de la rechute ?«