Nous sommes à la croisée des chemins en matière de management. L’époque du leadership n’est pas révolue. En période de turbulences, la gouvernance à poigne a toujours des adeptes.
Au moment où tout incitait les leaders au fort ascendant à évoluer vers un style de « manager coach » largement encouragé par le contenu des formations proposées, bien des salariés ont cru sentir à travers cette transformation un malencontreux refuge pour un certain affaiblissement de l’autorité.
Coach et dirigeant, des fonctions incompatibles
Au lieu de ressentir de l’empathie, ils ont crû déceler des attitudes de retrait, de l’effacement face aux responsabilités, parfois un recul de la compétence interdisant toute forme d’aide et une absence de référence à des valeurs, source d’incohérence dans les décisions. Pire même, le désengagement est parfois décrypté comme manipulateur. Le discours est allusif au lieu d’être assertif, le laisser-faire est trompeur, les relations se dégradent surtout quand les résultats sont décevants.
En gros, il vaut mieux que les vertus du coaching restent dans l’exercice de coachs compétents capables d’apporter les bienfaits d’un accompagnement, plutôt que se diluer dans l’art de diriger. Les rôles ne doivent pas se confondre. Parler de « manager coach » fait partie de cette mode où l’oxymore serait roi. Diriger n’est pas coacher. Point.
En conséquence, si on peut parler d’une quatrième dimension managériale en voie de construction (après l’époque du commandement, de la participation et du leadership), elle ne peut se réduire à un exercice d’un leadership édulcoré et seulement infiltré des bonnes pratiques du coaching. Encore une fois, laissons aux coachs ce qu’ils peuvent apporter à travers leur expérience d’accompagnement. En fait, le management qui s’annonce est porté par trois courants aux contours incertains :
- La vague entrepreneuriale influencée par le modèle californien, devenu la référence pour les startups du monde entier ;
- La promotion des attitudes de coopération pour freiner les effets de la compétition (moteur du leadership) et la montée d’un style de management qualifié de collaboratif ;
- La promesse d’un système, l’ « holacracy », qui vise à donner le pouvoir de décider à chacun selon son rôle (et non sa fonction) et qu’on voit à l’œuvre dans les entreprises dites « libérées », selon l’expression d’Isaac Getz.
Un nouveau management entrepreneurial
Au total, le nouveau management en devenir serait plutôt entrepreneurial, coopératif et responsabilisant. L’idée de « communityship » se substituerait au concept de « leadership », selon le regard du théoricien du management Henri Mintzberg.
Avec ce management nouveau qui s’écarte du modèle hiérarchique, on reviendrait aux sources de l’exercice responsabilisant de l’autorité : « l’autorictas », c’est-à-dire « autoriser » (au lieu d’ordonner, de contraindre ou d’interdire). Manager de façon responsabilisante, c’est s’accorder avec une personne sur un rôle (dans le modèle de l’holacratie, on en fait la « raison d’être ») et lui donner toute autorité pour décider à l’intérieur de cercles (faits d’organisation, de liens et d’acteurs). Bref, c’est pousser au plus loin le principe d’autonomie des acteurs, pour libérer l’initiative et les énergies.
Le management responsabilisant se caractérise donc par un principe de distribution de l’autorité alors qu’on vient d’un modèle de rétention de l’autorité. En ce sens, le modèle holacratique est bien le contraire du système autocratique. Selon Brian J. Robertson, le promoteur américain de ce courant : « l’holacracy » ne repose pas sur la faculté d’un tel d’être un brillant leader en permanence, mais sur la capacité de tout le monde à être parfois un bon leader ». Si on ne croit pas dans ce paradigme on ne peut pas insuffler un management à la fois entrepreneurial, et collaboratif, donc plus responsabilisant. C’est à chacun de capter les tensions, de comprendre les enjeux et de proposer des solutions pour les mettre en œuvre. La transition peut être chaotique pour l’encadrement en place : on apprend l’holacracy en la faisant !
Profil du dirigeant en manager responsabilisant
On sent émerger une nouvelle mentalité de dirigeants de PME, voire de patrons de grandes entreprises. Les profils sont de plus en plus hétérogènes à l’instar du modèle californien des start-up : ingénieurs, experts en marketing, autodidactes, « bricoleurs », « geeks » dans certaines niches technologiques… Les nouveaux manageurs entrepreneurs collaboratifs et responsabilisants partagent quelques traits caractéristiques :
- De la passion, un esprit d’aventure, de l’utopie (une volonté de transformer le monde même modestement) ;
- Un certain sens de la transgression (influence de la contre culture hippie et du courant libertarien américain, influence post-soixanhuitarde en France, contestation de l’autorité statutaire) ;
- Un goût des liens avec les autres (homo emphaticus) et sens des solidarités fraternelles entre créateurs et entrepreneurs ;
- Un sens civique de rejet du gaspillage, de sauvegarde de la planète, de meilleure gestion des ressources ;
- Un credo pour l’innovation, pour le principe de « réciprocité féconde », pour le partage et l’échange (« peer-to-peer »), pour l’expérimentation sociale ;
- Une vision du travail conçu comme un art de vivre selon le modèle d’une tribu : une vie communautaire, faire la cuisine ensemble, déjeuner en commun, espace de travail ouvert (coworking), partages affinitaires (arts, sports, culture…) ;
- L’incertitude est intégrée (on ne sait pas où on va) on apprend en faisant, le risque est inhérent à l’innovation ;
- Le recrutement fait confiance à des gens cooptés, sympas, passionnés qui choisissent un mode de vie, qui acceptent d’être en mouvement, de fonctionner comme dans une ruche, qui veulent être acteurs et prendre des initiatives ;
- Le sens de la communication pour faire du buzz, l’art du « pitch » pour présenter un récit et inspirer l’action, se faire choisir et désirer, être ambassadeur de l’entreprise ;
- Le goût pour le relationnel : nombreux briefs (en général debout en petits groupes), se voir souvent moins longtemps, accepter le nomadisme (télétravail), utiliser les plateformes (réactivité par la connectivité pour tous), généralisation de l’open space pour tous (dirigeants compris…), moins de mails, moins de téléphone, mais du réseau social…
- L’organisation du temps de travail revient à chacun, des ressources sont confiées, le job et les missions sont, si nécessaire, reconfigurés de façon consensuelle, certains responsables sont élus par les salariés, les nouveaux sont accompagnés par des mentors qui changent ; tout le monde peut être « boss » tour-à-tour ; les tâches sont en général diversifiées ; la parole est libérée (chacun peut s’exprimer sur son travail), l’échec est considéré comme une opportunité pour apprendre, le montant des salaires et des primes est discuté.
Ce nouveau management responsabilisant s’impose dans pas mal de start-up, de PME innovantes et s’invite à titre expérimental et souvent partiellement dans de grandes entreprises qui sentent que le processus hiérarchique et pyramidal, tout comme le leadership incarné (le chef « héroïque » à la tête d’une équipe projet) ont montré leurs limites. Ce n’est plus un changement, c’est une promesse de transformation. L’entreprise invente son propre écosystème. Ce n’est pas un modèle uniforme revendiqué. Le concept holacratique de l’entreprise libérée laisse chaque écosystème s’élaborer avec une tendance commune : la redistribution de l’autorité, l’idée que l’entrepreneuriat peut être un facteur de changement social, la promotion de l’idée « d’empowerment » (se faire confiance à soi-même pour faire confiance aux autres).
L’avenir confirmera si les entreprises conçues comme des espaces ouverts et hybrides qui brassent et mélangent les compétences, aplatissent les organigrammes, font confiance à l’imagination de leurs salariés, accueillent des partenaires autant que des usagers potentiels, ont recours à des intervenants indépendants apportant de la valeur ajoutée, offrent une meilleure promesse en matière de satisfaction au travail, de pérennisation des activités et de création de richesses. Cela renverrait alors les états dans leur rôle essentiel de régulation et de grands arbitrages.
Conseils aux consultants
L’approche d’une entreprise fondée sur le principe de la responsabilisation (autorité distribuée) ou gagnée par ce mouvement nécessite une approche adaptée et pleine de tact. Quelques conseils peuvent aider à faciliter les échanges.
- Se positionner en partenaire fraternel ;
- Ne pas proposer des programmes de formation tout faits ;
- Ne pas présenter une prestation de conseil au(x) dirigeant(e)s ;
- Chercher à partager un lien passionnant pour faire un bout de chemin ensemble ;
- S’intéresser avant tout aux personnes (salariés, clients, partenaires) ;
- Parler de ce que l’on a réalisé de singulier dans sa vie professionnelle (et personnelle) ;
- S’intéresser à la vie de l’entreprise, tenter de s’insérer dans des moments sensibles ;
- Tenter d’initier quelque chose en faisant « avec » les acteurs de l’entreprise (pistes de conseil ou de formation)
- Privilégier les relations informelles, « oublier » le fait hiérarchique ;
- Accepter le principe du donner pour recevoir, se mettre à contribution, prouver son intérêt pour la mutualisation ;
- Lier les honoraires à des résultats (vendre cher une expertise pointue et utile) ;
- Avoir une grande proximité ;
- Offrir un réseau de relations ;
- Être prêt à discuter, partager librement sans poser de conditions ou d’objectifs ;
- Se montrer ouvert mais discret ;
- Être plus transgressif que conformiste, surprendre, se montrer prêt à prendre des risques.
Bibliographie conseillée pour approfondir
- L’autorité responsabilisante, Lionel Bellenger (ESF)
- La révolution holacracy, B.J. Robertson (Alisio)
- Le modèle californien, M. Dagnaud (Odile Jacob)
- Liberté & cie, Devenez une entreprise libérée, I. Getz, C. Carney (Fayard)
Retrouvez les précédents articles de Lionel Bellenger sur les profils de dirigeants :
- Voyage dans la tête des dirigeants : les 4 tendances managériales
- Profil de dirigeant : le mode commandement
- Profil de dirigeant : le mode consensuel
- Profil de dirigeant : le mode leadership
A propos de l’auteur
Lionel Bellenger est l’auteur de « L’autorité responsabilisante », un livre indispensable pour refonder l’autorité sur l’engagement et le respect.
Maître de conférences à HEC Executive Education, il a fondé la société IBEL (conférences et formations) dans le Val-de-Marne. Directeur de la collection « Formation permanente », il est l’auteur d’une cinquantaine d’ouvrages concernant la négociation (« Les fondamentaux de la négociation », « La négociation (Que sais-je ?) », « Réussissez toutes vos négociations », la communication et le management.
Il a notamment écrit « Comment manager demain » chez ESF Éditeur, co-écrit avec Philippe Tramond – Dirigeant de Pilotis.
> Pour acheter « Comment manager demain », cliquez ici <
Vous pouvez aussi le retrouver en vidéo sur internet :
- Sur le site Welearn (cours sur la négociation en ligne)
- Sur le site elephorm (cours sur la négociation en ligne avec une étude de cas).