A la veille du colloque de lancement de la Fondation ITG « Travailler Autrement, vers les nouvelles formes d’emploi », Denis Pennel, Directeur Général de la confédération internationale des agences privées pour l’emploi (Ciett) et auteur du livre intitulé « Travailler pour soi : Quel avenir pour le travail à l‘heure de la révolution individualiste ? », nous propose cet article exclusif sur sa vision des nouvelles formes d’emploi.
Et si le salariat n’était plus synonyme d’épanouissement au travail ?
Cette question (tout comme le titre provocateur de cet article) vise à remettre en cause notre vision monolithique mais obsolète du marché du travail : seul le CDI protège les travailleurs et leur apporte sécurité et stabilité professionnelles.
La réalité n’est plus aussi schématique et, que l’on s’en réjouisse ou s’en lamente, le pacte sous-jacent qui liait un salarié à un employeur sous la forme d’un CDI est devenu léonin. Alors qu’il se basait sur l’échange d’une sécurité de l’emploi contre un renoncement consenti à une certaine liberté (la relation de subordination), ce contrat est aujourd’hui remis en cause, pour trois raisons essentielles.
Premièrement, le CDI ne protège plus les salariés
Dans un environnement économique où la durée de vie des entreprises ne cesse de raccourcir (75 ans dans les années 1930, 15 ans à l’aube des années 2000), détenir un contrat permanent ne garantit plus un emploi à vie. En Italie, 50% des CDI sont interrompus au bout de deux ans. Pire, l’emploi salarié est trop souvent associé à de la souffrance au travail : cadences extrêmes, management par le stress, logique de résultats inatteignables.
Deuxièmement, la relation de subordination incarnée par le CDI ne correspond plus à notre système productif
En se tertiarisant, l’économie exige prise d’initiative, agilité et adaptabilité. Il n’est plus demandé au salarié d’effectuer des tâches standardisées et répétitives, mais de mettre à la disposition de son employeur sa créativité, sa réactivité et sa personnalité. A l’heure du travail dématérialisé, le lien de subordination fait d’obéissance et de contrôles est devenu contre-productif et tend de plus en plus à être remplacé par du management collaboratif, où l’autonomie et la responsabilisation prévalent.
Troisièmement, le salariat a perdu nombre de ses avantages financiers
La hausse des cotisations sociales s’accompagne d’une baisse des prestations sociales (retraites, sécurité sociale, indemnités chômage). La répartition des profits se fait de plus en plus en faveur des actionnaires, au détriment des travailleurs. Les carrières ne sont plus ascensionnelles, la rémunération ne suit plus l’ancienneté. En somme, pourquoi ne garder que les contraintes du CDI alors que ses avantages ont disparu ?
Cela explique pourquoi nous avons sans doute atteint le point culminant du salariat
Car ce que nous sommes en train de vivre, c’est moins une crise de l’emploi qu’une révolution du travail lui-même. L’essor de nouvelles formes de travail, telles que portage salarial, travail indépendant, auto-entrepreneurs, groupements d’employeurs ou multi-activité, témoigne des mutations en cours et bouleverse la séparation stricte qui existait entre salariat et travail indépendant. Ce à quoi nous assistons est la naissance d’une nouvelle réalité du travail, le salariat ne répondant plus aux besoins de l’homme moderne au travail.
Cette nouvelle réalité du travail correspond aussi à la montée de l’individualisation de la relation d’emploi. « Les gens ne veulent plus appartenir, ils veulent choisir » comme le dit Jean-Paul Delevoye, le président du Conseil économique, social et environnemental. Le travailleur veut désormais consommer le travail comme il consomme biens et services. L’homme contemporain a individualisé ses pratiques politiques (je vote si je veux), religieuses (le catholique ne va plus forcément à la messe tous les dimanches), amoureuses (union libre, pacs, mariage…), culturelles. Aujourd’hui, l’individu veut également pouvoir définir le cadre de sa relation d’emploi et personnaliser ses conditions de travail. A titre d’exemple, 52% des Français voudraient pouvoir travailler de chez eux et 68% des salariés à temps partiel déclarent avoir choisi ce mode de travail, le plus souvent pour concilier vie familiale et professionnelle[1].
La crise économique actuelle masque et retarde la prise en compte de ces évolutions
Mais la conjoncture défavorable ne l’emportera pas sur ces évolutions structurelles. Car ces mutations impliquent trois grandes conséquences.
Premièrement, il faut reconcevoir notre système de protection sociale, qui a été bâti sur le socle du CDI
Alors que de plus en plus de travailleurs vont changer au cours de leur carrière de contrat de travail (apprentissage, CDI, CDD, intérim…) voire de statut professionnel (passage du salariat au travail indépendant ou à l’auto-entreprenariat), il est impératif de développer des droits sociaux portables et transférables quel que soit son contrat ou son statut professionnel.
Deuxièmement, la gestion des RH doit être individualisée
Taillée sur mesure pour répondre aux attentes multiples et variés des individus. Et la coexistence de quatre générations au travail ne fait que rendre ces attentes plus variées.
Troisièmement, l’intermédiation sur le marché du travail doit être renforcée et encouragée
Services publics de l’emploi, entreprises de travail temporaire, cabinets de recrutement, associations sociales… De nouveaux havres de stabilité sont nécessaires pour accompagner des travailleurs au parcours de plus en plus chaotique et un emploi fragmenté, individualisé et à la carte. Parions que l’avenir verra la résurgence des guildes professionnelles, à la fois garantes de la formation de leurs travailleurs, négociateurs de leurs conditions de travail, fournisseurs d’avantages sociaux et sources d’offres d’emploi.
Le futur du travail ressemblera-t-il au passé ?
Denis Pennel
Directeur Général de la confédération internationale des services privés pour l’emploi
Il est l’auteur du livre intitulé « Travailler pour soi : Quel avenir pour le travail à l‘heure de la révolution individualiste ? » publié au Seuil (Septembre 2013)
Voir son site : La nouvelle réalité du travail
[1] Rapport « Le travail à temps partiel en 2011 » – Ministère du travail, janvier 2013
1 commentaire
Une entreprise peut aider son personnel à combattre le stress, soit dans le cadre de programmes d’aide au travailleur, soit par des programmes spécifiques. Des programmes d’aide au travailleur ont été introduits dans beaucoup d’entreprises ces dernières années. Ils visent à aider les travailleurs à faire face à leurs problèmes personnels. Selon une étude menée aux Etats-Unis, environ le dixième des salariés souffrirait de problèmes tels que toxicomanie, alcoolisme, conflits familiaux, problèmes personnels ayant un rapport avec le travail ou les perspectives de carrière, etc. Tous ces problèmes ont un lien direct avec le stress.