Être créatif peut être défini comme un don ou un talent. Pour autant, sans travail, sans discipline, sans exigence, sans remise en question permanente et sans ouverture d’esprit, la créativité ne peut s’exprimer dans toute son ampleur. Ni pour soi, ni au bénéfice d’autrui (quelle que soit la cible).
Ray Bradbury explique, en se fondant sur sa propre expérience, notamment par le biais de ses essais, comment il a réussi à intégrer le zen dans sa propre créativité.
Comment être créatif : l’expérience de Ray Bradbury
Qui ignore encore Ray Bradbury ? Auteur romanesque et de science-fiction, novelliste, essayiste, scénariste. A son actif, en soixante-dix ans de carrière ? De nombreux chefs d’œuvres sur papier, à l’écran, sur les planches. Citons-en deux : « Fahrenheit 451 » et les illustres et savoureuses « Chroniques martiennes ». Cependant, à l’origine, avant la gloire, le succès, la renommée internationale, il est nécessaire de comprendre comment tout cela a débuté.
Comment Ray Bradbury a-t-il réussi à atteindre le Zen dans l’art d’écrire ? Cet ouvrage donne des clés qui relèvent du bon sens, mille fois entendues parmi les créatifs, quel que soit leur domaine d’expression artistique mais qui, ici, à travers l’expérience particulière de Ray Bradbury semblent évidentes. Des clés qui rappellent que la créativité relève probablement d’un don, composée d’un élément distinctif inné. Qui rappellent aussi que sans travail, sans discipline, sans remise en question permanente, sans détermination, sans audace et sans prise de risque, le talent s’étiole.
La genèse de Ray Bradbury
Barack Obama a dit de Ray Bradbury : « Raconter des histoires était chez lui un véritable don ; nous lui sommes redevables d’avoir imprimé une dynamique nouvelle à notre culture et d’avoir repoussé les frontières de notre monde. Mais Ray avait aussi très bien compris que notre imagination est tout à la fois un outil qui peut nous aider à mieux comprendre le monde tel qu’il est, une passerelle vers les changements que nous promet l’avenir, et une merveilleuse expression de nos valeurs les plus chères ».
Écrivain d’anticipation et réaliste, à la poétique débridée et humaniste, observateur pointilleux au service d’une fantaisie créatrice sans égal. Ray Bradbury a 9 ans lorsqu’il s’invente des histoires, réfléchit, réagit. Il n’est pas cet enfant qui se conforme : « Où avais-je bien pu trouver le courage de me rebeller, de changer ma façon d’être, de vivre en solitaire ? ». Il développe, jeune, un sens aiguisé de ce qui lui convient et trouve dans l’écriture ce qui va l’apaiser : « Écrire, c’est survivre. (…) Pour beaucoup d’entre nous, ne pas écrire c’est mourir ». Écrire pour protester donc, et résister.
Puis vient l’enthousiasme et l’excitation, qu’il apprend à canaliser. Ray Bradbury lit, regarde, analyse, décrypte : poètes, philosophes, peintres, musiciens. Il se forge ses opinions, isole ses figures tutélaires, pour mieux s’en détacher et développer son propre langage. S’aperçoit que sa capacité à s’indigner le met en verve. De l’injustice, de la haine mais aussi de l’amour qu’il découvre, il développe sa créativité à travers des histoires et les personnages susceptibles de porter ces histoires. Et ainsi, chaque jour, il créé. Être créatif ne suffit pas, Ray Bradbury cherche la justesse : « La vérité est dans la vitesse. Moins vous réfléchissez, plus vite vous écrivez, et plus vous êtes honnête ».
Il écrit quotidiennement, vite, à heures fixes, s’astreint à produire et son style singulier apparaît : « Ce qui paie, c’est le caractère personnel de l’observation, l’étrangeté de l’imagination, la bizarrerie des idées ? »
Le plaisir d’écrire, moteur de Ray Bradbury
En lisant, en observant, en écrivant. Une boucle inlassable. Ray Bradbury court vite, saisit le monde et le retranscrit de manière unique, lui offre des prolongements inattendus : il apprivoise la Muse. Il éprouve ses idées à l’aune de différentes formes d’écriture en particulier la poésie qui « développe les sens et les maintient en condition optimale. Elle vous aide à ne pas oublier que vous avez un nez, des yeux, des oreilles, une langue et des mains. Enfin, par-dessus tout, la poésie est un concentré de métaphores et de comparaisons ». Il s’exerce, toujours en quête de sens ; ses personnages et ses intrigues répondent à une logique convaincante pour le lecteur. Il s’amuse à des associations improbables, teste et tente des prolongements, vérifie leur caractère vraisemblable. Il nourrit son « Moi Le Plus Original ». A son labeur, Ray Bradbury rajoute son plaisir. Il vit en état d’ivresse « parfait mélange de terreur et d’euphorie ».
Il fait confiance à l’enfant de 9 ans qu’il a été, capable de discernement, de spontanéité et d’instinct, tout en apprivoisant l’adulte mûr qu’il devient. Chaque événement qui surgit sur sa route, même anodin, constitue un début d’histoire. Il le laisse mûrir, le conserve dans un coin de sa tête et parfois, des années plus tard, cela prend forme. Il vend ses chroniques, ses billets, ses nouvelles, s’ouvre aux opportunités et collaborations qu’on lui propose, le puzzle se consolide.
En vérité, Ray Bradbury ne donne pas de recettes miracles pour atteindre le Zen dans l’art de l’écriture : il raconte son existence, son chemin semé de détails et de coïncidences qu’il a pris la peine de noter, de rencontres hasardeuses qu’il n’a pas ignorées, de tâtonnements qu’il a écoutés, de « Et si » qu’il a tentés, de fils conducteurs qu’il a suivis d’instinct, de limites qu’il a franchies. Et puis un jour il a inventé la fantasy et permis que la science-fiction soit.
Il dévoile son esprit secret, ses idées qu’il travaille, la compression nécessaire, apprendre à couper pour un résultat plus efficace, comme ce scénario de 260 pages qui, au final sera circonscrit à 120 pages. Impossible ? Pourtant il l’a réalisé en exprimant une idée en deux lignes plutôt qu’en six. L’art de la métaphore (Avec les métaphores jouez l’indifférent / Gardez-les telles des chats dans un dédain distant / Prêtes à ronronner, d’orgueil et de fierté, / Comme des bêtes d’or en vous dissimulées) et des images compactes, la lecture des haïkus l’y ont probablement aidé. Et puis tout jeter et tout recommencer. Et aussi écouter ses personnages, même des années après : eux aussi évoluent. Et enfin ne jamais oublier que l’intrigue révèle l’action.
3 conseils pour être créatif
Ray Bradbury résume en quelques essais et en trois points l’atteinte du Zen dans l’art de l’écriture ou de toute création : le travail, la relaxation, ne jamais réfléchir. Apparemment sa méthode a fonctionné, peut-être est-il temps de la suivre. « C’est dans les Arts qu’on doit apprendre à respirer / A vivre cœur-battant ; à côtoyer le Diable (…) / Et alors ? Trouvez l’Art »
« Le Zen dans l’Art de l’Ecriture », par Ray Bradbury, aux éditions Antigone 14. 206 pages, 16 euros.